La démocratie européenne est-elle assez mûre pour aborder la question de la liberté de religion ou de conviction? 

Si la situation des populations d’autres pays est trop rarement un enjeu électoral prioritaire, une certaine politisation de la question du respect des droits humains est néanmoins fréquente. Pour un défenseur de la liberté de religion ou de conviction, l’engagement politique des partis politiques pour ce droit, lorsqu’il est fait correctement et de manière appropriée, est certainement une bonne chose. Dans le meilleur des cas, cet engagement peut attirer l’attention du public sur les injustices souvent graves, commises à l’étranger et représenter une plate-forme politique solide pour débattre de la façon dont ces questions seront traitées après les élections. Mais, dans le pire des cas, ces mêmes questions peuvent devenir l’objet de manœuvres politiques ou de tactiques électorales souvent marquées par un manque de sincérité, de nuance, voire, de bonne volonté élémentaire. 

Autant les conservateurs que les progressistes sont pris en défaut sur ce sujet. Cet article résume certaines des actions passées, bonnes et mauvaises, des deux blocs politiques. Il vise à la fois à sensibiliser les électeurs aux tractations qui se déroulent dans les coulisses des QG des partis mais aussi, à attirer l’attention de ceux qui sont directement impliqués dans la campagne, en les invitant à réfléchir de manière plus critique et constructive à leur approche. 

Malheureusement, il semblerait que la démocratie européenne ne soit pas encore assez mûre pour distinguer la « religion » du « droit humain à la liberté de religion ou de conviction » ici dénommé FoRB.1 Pour preuve, il n’y a qu’à constater le manque de qualité du travail récent des différents partis politiques sur ce droit fondamental au niveau européen. Même si la promotion d’une « religion » et la promotion de la « liberté de religion » constituent des sujets clairement différents, politiquement, ils sont trop souvent confondus et mélangés. Rares sont les conservateurs qui n’utilisent pas, à mauvais escient, la promotion de FoRB comme cheval de Troie pour les questions religieuses conservatrices; de même que les progressistes, dans leur grande majorité, choisissent tout simplement de ne pas s’engager sur FoRB, parce qu’ils estiment qu’il est plus facile de laisser ce sujet aux partis politiques de droite. 

Cela nous amène aux forces et aux faiblesses respectives des conservateurs et progressistes en ce qui concerne leur engagement politique sur FoRB. Les conservateurs ont tendance à être plus forts sur l’intensité de l’engagement et plus faibles sur la compréhension du concept, alors que pour les progressistes c’est l’inverse.  

Les points forts des deux groupes sont bien connus. Nous allons donc nous consacrer à une analyse de leurs faiblesses respectives – car c’est là que l’on veut apporter des changements. 

Pour les progressistes européens, la faiblesse de leur engagement découle principalement de leur incompréhension de l’importance et des implications de la liberté représentée par FoRB, à la fois du point de vue de son utilité juridique et morale, mais aussi en termes d’attrait politique potentiel. Ils n’ont pas cherché à remettre en cause les positions conservatrices qui considèrent que FoRB serait en fait un cheval de Troie pour la politique religieuse conservatrice. Ce faisant, ils négligent sa force libératrice pour les droits de l’individu – de chaque individu – de croire, de ne pas croire, et de vivre comme ils l’entendent. Ils devraient pourtant être rassurés par la place bien établie qu’occupe FoRB dans le cadre international des Droits humains, et défendre la place indivisible et interdépendante qu’elle y occupe. Malheureusement, il s’agit d’un territoire politique qu’ils ont choisi de ne pas occuper. À de nombreuses reprises au cours de cette législature du Parlement européen, dans plusieurs textes législatifs consacrés à la question, les progressistes ont délibérément négligé les occasions de pointer du doigt des pays et des cas spécifiques de violation de liberté de religion ou de conviction, se limitant à l’approche conceptuelle. 

Les conservateurs européens, pour leur part, font également preuve d’un manque de compréhension à la fois du sujet lui-même mais aussi de sa valeur et de ses implications. Leur prise de parti quasi exclusive en faveur des chrétiens, sans considération pour les autres communautés religieuses ou non-religieuses en est l’illustration. Sans vouloir même opposer à ce parti pris un raisonnement théologique chrétien (voire philosophique ou d’ordre moral), leur approche n’est tout simplement ni logique ni efficace. Si on considère simplement les implications d’une lecture et d’une application idéologique et non universelle des « Droits humains » – pour les besoins de l’argumentation, on accepterait que seuls les droits des chrétiens mériteraient d’être défendus – si l’on ne défend pas les droits de tous (tant au niveau national qu’international), sur quelles bases (politique et institutionnelle), peut-on s’attendre à ce que les droits des chrétiens à l’étranger soient aussi respectés ?  

Il est regrettable que les conservateurs aient été si exclusifs dans le choix des communautés qu’ils ont choisi de défendre ; et il est tout aussi regrettable que les réponses des progressistes aux violations de la liberté de religion ou de conviction se voient vus accordées un niveau de priorité et d’engagement clairement insuffisants. La bonne nouvelle, c’est qu’avec la considération nécessaire et suffisamment de volonté politique, les défauts flagrants de ces deux approches peuvent être facilement corrigés.  

C’est en partie pour soutenir ce processus que CSW a élaboré, avec ses partenaires, une série d’actions concrètes qu’il serait bon que les membres du Parlement européen, qui seront élus en juin, puissent promouvoir et défendre pendant leur mandat. Leur prise en compte et leur mise en œuvre concrète par toutes les parties prenantes devrait nous permettre d’améliorer la qualité et l’intelligence du débat démocratique sur la question de liberté de religion ou de conviction et déboucher, à terme, sur plus de justice pour les victimes de la violation de ce droit. 

Par Jonathan de Leyser, Senior Advocate of EU à la CSW 

This article is a translation of a piece originally published in English here.

Featured Image: Photographer: Daina Le Lardic. Copyright: © European Union 2024 – Source : EP


  1. FoRB est l’acronyme anglais pour Freedom of Religion or Belief qui signifie Liberté de Religion ou de Conviction. ↩︎